Les bouchers au Moyen Age se fournissaient à trois sources différentes pour approvisionner les étaux : la capitale, la proche banlieue et quelques provinces françaises proches.
Selon l' anonyme auteur du "Ménagier
de Paris" à la fin du quatorzième siècle, 3626
moutons, 583 bufs, 377 veaux et 592 porcs étaient sacrifiés
par semaine. Ces chiffres qui paraissent compatibles avec l'hypothèse
d'une population s'élevant à 200.000 âmes, expliquent que
très rapidement les deux premières sources s'avérèrent
insuffisantes pour nourrir Paris. Dés le règne de Philippe
Auguste, le hauban cessa d'être un impôt en nature pour être
perçu en espèce. Cette modification atteste certainement l'importance
nouvelle de la monnaie dans les échanges mais reflète aussi l'
urbanisation croissante d' une capitale qui ne devrait plus vivre en autarcie.
Le marchand, longtemps méprisé et regardé comme un parasite, deviendra indispensable et respecté.
" Les uns s'en vont an Angleterre
Laines et cuirs et bacons querre . . .
Et d'autres s'en vont en Bretagne
Bufs et porcs et vaches acheter
Et s'efforcent de marchander
Et reviennent de tous pays
Les bons marchands à Paris. "
Dit des Marchands.
La capitale conserva jusqu'à "l'automne du Moyen-Age "
un certain caractère bucolique : des champeaux - des petits champs -
subsistérent ça et là où poussaient quelques légumes.
Les établissements religieux élevèrent longtemps des porcs
en quantité à peine suffisante pour leurs propres
besoins. Mais depuis l' accident qui avait coûté la vie au fils
aîné de Louis VI, son cheval ayant été effrayé
par un pourceau, seuls les cochons de Saint-Antoine avaient le droit de vaguer
dans les rues. Ils participaient ainsi à l'évacuation des déchets
et ne dédaignaient pas de fouir les cimetières, jusqu' à
ce que Philippe Auguste ordonne leur clotûre.
Les "talemeliers", nos boulangers, se livraient aussi à l'élevage : ils blutaient les farines et en réservaient le son pour gaver des cochons. Pour les y inciter, le fisc ne percevait aucun tonlieu sur l'achat et la vente des porcs qui avaient été nourris au moins une fois dans une boulangerie. Ces animaux, obèses et incapables de marcher étaient moins goûté que leurs confrères nourris de glands et de fruits des bois. Mais c'était un appoint financier indispensable pour les talemeliers.
La banlieue produisait à profusion fruits, légumes, volailles ou animaux de boucherie qui trouvaient sans difficulté un bon débouché sur les marchés de la capitale.
Les artisans de la Porte bénéficiaient, depuis Philippe Auguste,
d'une exemption de tout péage en banlieue. Leurs achats étaient,
en revanche, soumis à certaines restrictions : il ne leur était
pas permis d'acheter trop prés des murs, ou de se fournir auprès
d'un courtier qui menait ses troupeaux à Paris. Les boucheries écclésiastiques
de la rive gauche étaient soumises à de semblables interdictions.
De tels procédés étaient assimilés à une
concurrence déloyale. Ainsi en 1395 Jean Marceau, garçon boucher,
fut condamné par le prévôt pour avoir "non ignorant
les ordres roiauls faicts sur leur d. mestier [de boucherie] comment aucun ne
peut aler au devant des denrées des forains si prèz de Paris,
acheté et payé des moutons aud. lieu de N.D. des Champs pour et
au profit de son d. oncle " [un Saint-Yon]. Pour échapper à
l'amende, Marceau se prétendit clerc non marié, relevant donc
d'un tribunal ecclésiastique, ce qu'entendant, le prévôt
lui interdit d' exercer son métier
incompatible avec la dignité cléricale.
De la province, proche ou lointaine, venaient les plus grands contingents
de bestiaux vendus et consommés à Paris : plaines du Maine et
du Perche l'ouest, plateaux du Limousin et de la Marche au Sud et, dans une
moindre mesure, plaines céréalières du Vermandois, du Valois
et de la France, au Nord.
Exceptionnellement d'autres régions pouvaient être mises à
contribution : en 1421 "comme y avoit grant faulte de vivres Paris",
des spéculateurs courtiers n'hésitérent pas à se
rendre en Savoie, alors terre d'Empire, pour y acheter 80 bovins. Ce n'est
que bien plus tard, avant la Révolution que les boeufs des élevages
spéculatifs de Hollande et du Charolais viendront se faire tuer à
Paris.
Les courtiers et les bouchers pouvaient acheter des animaux auprès de grosses exploitations ecclésiastiques ou nobiliaires se livrant à un élevage spéculatif. Mais le plus souvent les bestiaux étaient achetés à de petits exploitants : c'étaient surtout des animaux ayant cessé d'être utiles au travail des champs. Au IXème siècle, dans le Capitulaire " De Villis ", Charlemagne ne décréta t'il pas : "Quand ils feront des livraisons de viande, qu'ils prennent des bufs éclopés mais non malades, des vaches ou des chevaux non galeux et d'autres bestiaux non malades." On notera qu'à l'époque, les chevaux étaient encore consommés, ce qui ne sera plus le cas, sauf famine, jusqu'au XIXème siècle.
Les bovins étaient présents dans les villages moins pour leur viande et leur lait que pour leur force de travail. Les paysans dont les champs ne fournissaient pas assez de paille (mauvaise récolte, exploitation trop exiguë) revendaient aux foires d'automne les animaux qu' ils avaient acquis aux foires de printemps. Seuls les plus riches se permettaient de consommer des animaux jeunes, qu'ils payaient très cher.
Les ovins broutaient la jachère et les blés moissonnés trés haut. Ils fournissaient la viande, la laine pour les filatures et surtout l'indispensable fumure. Georges Duby (in l'Economie rurale ... ) rapporte qu'au XIIème siècle les nobles anglais obligeaient les vilains à rassembler leurs troupeaux sur les terres seigneuriales, pour la nuit pendant les foires. Plus loin dans le temps, au Xème siècle, la campagne était un désert et le village une oasis surpeuplée. Les paysans ne cultivaient que les sols les plus faciles à retourner, souvent de simples jardinets derrière les maisons, à qui ils réservaient tout ce qui pouvait servir d'engrais...
Le porc était l'animal le plus important des communautés paysannes et ce depuis le haut Moyen-Age : la loi salique ne comportait pas moins de 16 articles relatifs au vol de pourceaux. Cependant il ne représentait qu'un peu plus du quart des viandes consommées. Nos ancètres n'étaient guère plus inféodés au cochon que les Gaulois aux sangliers.
Il rentabilisait les déchets ; omnivore, il n'hésitait pas à manger des rats, voire à retourner les tombes fraîchement refermées Il était emmené sous la conduite d'un porcher chercher sa provende en forêt : glands, faines, petits fruits et champignons. Il pouvait à cette occasion s'hybrider avec le sanglier : le cochon représenté dans les enluminures est un bête plus petite que nos porcs actuels, à la peau sombre et au poils rudes. Il est donc assez difficile de le distinguer de son cousin sauvage. Les ossements découverts dans les dépots d'ordure montrent que les animaux étaient abattus jeunes, souvent à un an à peine, à l'exception des reproducteurs abattus lorsque leur fertilité baissait.
Mais les droits coutumiers de pasnage (pâture des porcs en forêt), de glandée et d'usage (récolte de glands et de bois mort) se restreignirent peu à peu, le bois devenant rare et cher. Les forêts furent encloses dés le début du XIIIème siècle quelquefois.
L' automne était traditionnellement l'époque des plus grosses
ventes et des plus importants abattages. Les bouchers profitaient de cette période
pour réaliser de fructueuses affaires : les éleveurs n'étaient-ils
pas contraints de vendre pour réaliser quelques profits en espèces
? ...
Espèces qui permettaient de payer les redevances au seigneur, d'acheter
de nouvelles bêtes à la belle saison et du sel pour conserver la
viande des porcs.
En règle générale, les marchandises destinées
à l'approvisionnement de Paris empruntaient la voie fluviale :
des objets fragiles n'auraient pas résisté longtemps aux cahots
et aux nids de poule des routes qui n'étaient pas revenues à la
qualité des routes romaines. Seuls les audacieux se risquaient sur les
routes, pour ne point payer les lourds droits réclamés par la
Hanse aprés avoir solidement arrimé leur chargement.
Les troupeaux n'utilisaient exclusivement que la voie terrestre. Voie plus longue,
plus fatigante mais qui n'était pas soumise aux aléas climatiques
tels que crues, gel, étiage, qui paralysaient souvent le trafic fluvial.
Sans doute, il aurait été possible d'embarquer les animaux sur
l'affluent de la Seine le plus proche de leur lieu d'achat. Mais, outre que
les chalands n'auraient peut-être pas été ni assez solides
ni assez stables, "l'intendance n'aurait pas suivi".
Le problème de la nourriture des bestiaux aurait été insoluble
: il aurait fallu emporter des réserves de fourrages, bien vite épuisées,
créer des dépôts aux étapes du soir ou louer des
pâturages, toutes mesures qui réclamaient de fortes sommes et une
organisation rigoureuse.
Il était plus aisé de faire cheminer les troupeaux, toutes espèces
confondues : les bêtes trouvaient leur pitance au long des routes. Elles
arrivaient amaigries et fatiguées à Paris et il était indispensable
de leur laisser reconstituer quelques forces dans des pâturages de banlieue,
loués ou achetés par les bouchers.
A Chelles, depuis 1134, mais aussi dans d'autres localités : en 1427, la famille Haussecul possédait un vivier à Drancy et quelques terres à Bondy, Tremblay, Saint-Denis et Attainville. Guillaume de Saint-Yon (1380) possédait des prés à Chelles, Bondy et Monceau. Les fils de Jean de Saint-Yon héritèrent de leur grand père Rabiole, boucher à Sainte-Geneviève, des biens dispersés à Viry, Juvisy et en Champagne. Rien de considérable.
Toute médaille ayant son revers, il n'était que trop facile à des brigands et à des soudards d'arrêter, détourner ou rançonner un troupeau : l'approvisionnement de la capitale devint aléatoire par fait de guerre au XVlème siècle. Cependant, tant que la paix et l'ordre régnaient dans le royaume, le système donnait toute satisfaction à ses utilisateurs.
Les choses n'allaient toutefois pas sans heurts avec les populations locales qui supportaient difficilement la présence de bestiaux sur les prés communaux. A Montferrand en 1440, les habitants se plaignaient de leurs bouchers : "tant y ont multiplié bétail que tout est gâté comme labours et vignes..."
Les plaintes pour accaparement et dévastation des communaux n'eurent
aucun effet dans la banlieue parisienne : en 1658 un sergent de justice fut
condamné à cinq ans de galères, commués en trois
années de bannissement, pour avoir osé saisir du bétail
à la demande des habitants de Vaugirard.
Les bouchers étaient "intouchables" et le ravitaillement de
la capitale passait avant toute autre considération, même de simple
justice ...
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