Abattage et découpe des carcasses.

 

Tacuinum sanitatis boucher abattant un  mouton

 

Lorsque les animaux s'étaient remis des fatigues du voyage, ils étaient conduits par les "meneux" jusqu' à l'Ecorcherie où ils étaient abattus dans les rez-de-chaussée des habitations qu'occupaient les bouchers.
Des contraintes locales, souvent de nature religieuse, ont pu, de par le monde, influer sur le mode de mise à mort.
Le plus usité reste cependant la saignée précédée ou non d'un étourdissement de l'animal de boucherie, moins pour épargner à celui-ci des souffrances inutiles que pour se protéger de réactions violentes, et pour obtenir une chair de qualité.

Si rares sont les textes qui décrivent l'abattage, l'iconographie en revanche, est très riche : les bouchers donateurs de vitraux se sont fait représenter dans leur exercice professionnel, les calendriers comportent souvent au mois de Novembre une enluminure sur l'abattage du cochon.Enfin, le historiens et les archéologues français s'intéressent désormais (vingt ans après les anglo-saxons) aux détritus que l'on trouve autour des sites du bas Moyen Age.

 

Abattage des petits ruminants

Pour les ovins et les caprins, la besogne était rapidement expédiée. Dotés d'une faible vigueur ces animaux étaient couchés sur le dos, la tête rejetée vers l'arrière, entravés ou simplement maintenus agenouillés d'une main ferme. Le boucher ne tranchait pas la gorge mais pratiquait une incision longitudinale qui ouvrait la carotide et la jugulaire.
C'est, du moins, ce qu'il semble ressortir de l'examen des représentations artistiques : les animaux sacrifiés portent des entailles par où s'écoule le sang, soit sur le côté de l'encolure, soit dans le plan de symétrie, comme sur l'enluminure ci dessus.

 

Bréviaire d'Amour, abattage du cochon

 

Abattage du cochon

La "tuée" du cochon se pratiquait de la même manière que de nos jours dans les fermes. Le valet boucher grimpait à califourchon sur la bête couchée sur le flanc droit, bloquait de sa cuisse la patte arrière gauche et prenait la patte avant droite dans sa main gauche pour limiter les mouvements de défense de l'animal. Parfois une corde entravait une patte arrière et le tueur se contentait de s'agenouiller sur le pourceau coinçant la hanche gauche avec son genou.
Puis avec cette facilité d'exécution que confère une longue habitude il plantait un couteau éffilé dans l'encolure, sectionnant jugulaire et carotide, ou dans la poitrine, transperçant le coeur et sectionnant les gros vaisseaux.
La bête mourait rapidement, vidée de son sang. Une femme recueillait le sang dans un récipient, en tournant avec une baguette pour éviter la coagulation. Le liquide entrait dans la composition du "boudin de sanc".

Immédiatement après l'animal était flambé à l'aide de paille bien sèche. Puis venait le grattage de la couenne et l'éviscération.

Il semble que l'animal était attirée avec un peu de nourritures et qu'on en profitait pour lui donner un grand coup de cognée afin de l'assommer.

 

Psautier de Canterbury. Enluminure :  tuée du cochon



Seuls les bovins étaient systématiquement assommés avant d'être égorgés. Du moins les bovins adultes, car les enluminures sont muettes sur le sort des veaux. Ceux ci n'étaient d'ailleurs consommés que par les élites, alors que la population se contentait de bovins agés devenus trop vieux pour travailler ou donner du lait.

Parfois le tueur coiffait sa victime avec un masque de cuir. Il reliait ensuite une corne et l'un des membres antérieurs avec une courte corde, obligeant ainsi l'animal à baisser la tête pour ne point être déséquilibré et l'empêchait de s'échapper. Bien plus tard, lorsque le sol des boucheries fut pavé, on attacha les bovins à un anneau solidement fixé à terre (comme en fait foi une gravure de l'Encyclopédie). Enfin l'assommeur levait bien haut son merlin ou sa hache, le passait derrière son dos pour prendre davantage d'élan et l'abattait vigoureusement sur le crâne du bestiau. Point n'est besoin de tenter l'expérience pour comprendre quelle force et quelle habilité étaient nécessaires pour écraser, d'un seul coup, une boîte crânienne.

La mise à mort s'effectuait par saignée, soit par égorgement soit par section des vaisseaux comme pour les moutons. La documentation qu'il nous a été donné de rassembler ne permet pas de trancher : il semble qu'il existe un hiatus dans l'iconographie entre la levée du merlin et un stade avancé de la découpe où tête et tronc sont séparés.

 

Vitrail d'Ezechiel, Chartres

 

Découpe des carcasses des bovins

Le"Ménagier de Paris", un traité d'économie domestique, rédigé en 1393 par un bourgeois parisien vieillissant à l'intention de sa nouvelle femme de 15 ans, se révèle être une source indispensable pour l'étude de la Grande Boucherie de Paris.
L'auteur, jaloux de l'honneur de son épouse comme tous les maris de cette époque, faisait lui même les provisions en compagnie d'un intendant ou d'un valet et s'était renseigné auprès de ses fournisseurs de la Porte sur leurs us et coutumes. Grâce à ce bourgeois anonyme, nous avons quelques lueurs sur la coupe et la découpe des bovins.
Pendant les opérations de dépouille et d'éviscération, les boeufs n'étaient pas suspendus une poutre par des "tinets" pièces de bois glissées dans les tendons des jarrets, mais étaient soutenus par un valet qui, pour sa peine, recevait le "filet" ou "nomblet", un morceau de petite valeur.

Précisons que la carcasse n'était pas fendue en deux, par sciage des corps vertèbraux comme de nos jours. Un valet tenait la carcasse sur son dos, et recevait le filet pour sa peine :"puis si a le filet que l'en appelle le nomblet, qui est bien d'un pié de long et non plus; et tient l'un bout au col et l'autre au rongnon, et est du droit de celluy qui tient les piés des beufs à l'escorcher, et le vent à un petit estal qui est au-dessous de la grant Boucherie; et est de petite valeur." On coupait de part et d'autre de la colonne puis on fendait les apophyses transverses, de sorte que l'on récupérait deux demi carcasses et une colonne vertébrale entièrement nettoyée.
On évitait ainsi le recours à la scie qui s'encrasse, s'émousse rapidement, est très difficile à nettoyer sans eau bouillante et devait coûter très cher à fabriquer.

 

tacuinum sanitatis, écorchage

 

Les bovins étaient ensuite démembrés et divisés transversalement. En outre ils étaient fendus longitudinalement s'ils étaient de belle taille "pour apporter plus aisieement" à l'étal où ils étaient découpés.

Si on en juge par les résultats des fouilles, la découpe consistait essentiellement à obtenir des pièces de taille peu importantes destinées à bouillir en marmite. Tous les os longs, tibia, péronné, humérus... étaient entaillés d'un coup de tranchet puis cassés en deux par pression des mains sur l'incision initiale. Ceci évitait de donner plusieurs coups de tranchet qui auraient pu détacher des esquilles osseuses. La colonne vertébrale était découpée en quelques tronçons et les membres désarticulés par ouverture des articulations au couteau.

Il peut sembler périlleux de rechercher la correspondance entre les morceaux de découpe du Moyen Age et ceux que préparent les bouchers d'aujourd'hui. C'est cependant ce que nous allons tenter de réaliser.


"Cuisse", "épaule", "poitrine", "longe" nous semblent correspondre à leurs homonymes actuels. De même, le "gîte" "qui fait la meilleurs eau [bouillon] après la joe" correspondrait à nos pièces de pot-au-feu ... Le "flanchet" désigne la musculature abdominale, actuellement divisée en flanchet et milieu de poitrine.
Le "noyau", "pièce après le col et les espaules [...] l'un des melleurs morceaulx à rostir ou cuire en l'eaue", aurait été constitué par les muscles du garrot, soit le collier et le garrot de nos modernes bouchers, peut être avec une partie du paleron et de la macreuse. L'actuel plat de cotes nous paraît correspondre au "souppis".

 

L'identification du "filet" ou "nomblet" est problématique. Nous serions tenté de l'assimiler à l'ensemble des muscles psoas, comme de nos jours. Sur les bovins mal conformés, cette pièce est de petite épaisseur, manque de goût. Or les bovins du Moyen Age étaient bien plus petits que de nos jours.
Comment, toutefois, ne pas remarquer la ressemblance entra le "nomblet", deuxième nom du filet, et l'onglet constitué par les piliers du diaphragme? Cette hypothèse retenue en 1846 par le premier éditeur du Ménagier, le baron Pichon, ne nous satisfait pas. Certes rien ne s'oppose à la transformation du nom " nomblet " en "omblet", la lettre initiale se greffant à l'article, puis en onglet. A l'inverse, un ombilic romain n'est-il pas devenu un nombril.
Par malheur, au cours des siècles les mots"ombilicus" et "lumbus" se sont fâcheusement hybridés. Dans le Larousse de l'Ancien Français (Greimas), on trouve les graphies suivantes : nomble, nembre, nombre pour nombril, longe ou filet ; lomble, lombe, lombre : nombril ou reins.


Pour étayer notre assimilation entre filet et "nomblet" nous voudrions évoquer la dépouille du cerf selon le "livre du Roy Modus et de la Reyne Ratio" qu'écrivit dans la deuxième moité du XIVème siècle Henri de Ferrières, sire de Gisors. "Procédé" et "Méthode" enseignent à un apprenti tout ce qu'un bon chasseur -ou un braconnier- se devait de connaître : la chasse au faucon ou avec une meute, l'utilisation de filets et de torches, l'archerie et la découpe. Certes les usages décrits dans ce traité sont ceux d'une minorité, la noblesse. Mais ces usages se répandirent peu peu dans l'ensemble de la société : la découpe des boeufs au Châtelet semble un reflet grossier, gauche de la noble découpe du cerf dans les frondaisons normandes.

Pour ôter la fressure, le veneur devait couper "une toie de char qui est toute à travers le corps, soulz le cuer, au reis des costes". Cette description s'applique parfaitement au diaphragme, un voile de muscles respiratoires inséré sur les côtes et qui sépare l'ensemble cœur-poumon des viscères abdominaux. Les bouchers vendent actuellement ces muscles sous les noms de hampe et d'onglet.
Ensuite, après diverses opérations, le veneur devait lever les nombles, "c'est une char et une grasse avec les regnons, qui est par dedans endroit les longes", ce qui correspond au filet actuel. Par conséquent onglet et nomblet semblent bien deux morceaux différents.

Il reste que ni onglet ni nomblet-filet ne tiennent "l'un bout au col et l'autre au rongnon". Mais, plutôt que de corriger le texte du Ménagier comme le baron Pichon qui affecta de lire "poitrine" au lieu de cou, ne peut-on voir dans cette affirmation paradoxale une simple méconnaissance de l'anatomie ? Ou bien faut il penser que les bouchers de l'Apport considéraient comme un seule pièce tous les muscles courant sur la face ventrale des vertèbres, du cou aux reins?

La discussion reste donc largement ouverte et les Trissotins ne manqueront pas.

 

Découpe du cerf. Gaston  Phébus, comte de Foix, seigneur de Béarn.


Pour clore cette discussion, nous ne saurions trop rappeler que "le Moyen Age fut l'ère des ragoûts assaisonnés ". Les morceaux les plus apprécies n'étaient pas ceux que l'on pouvait faire cuire rapidement mais ceux qui, après une lente cuisson, donnaient des bouillons riches et succulents : joue, gîte, poitrine... Le peu de cas que l'on faisait du filet actuel ne doit pas nous étonner.

 

 

Découpe des ovins et des caprins


Le Ménagier ne s'est guère occupé des autres animaux de boucherie. Les seuls témoignages dont nous disposons, enluminures et vitraux, ne sont malheureusement pas assez explicites. Les morceaux de découpe, à l'exception des cuisseaux ou d'autres pièces à l'aspect typique, sont les morceaux d'un puzzle impossible à reconstituer.

 

Découpe des porcins

Le porc représentait moins de 50 % de la consommation de viande. Il était surtout consommé salé, au long de l'hiver.

Force est de recourir, pour le porc, à d'autres sources que le Ménagier : les ouvrages cynégétiques et en particulier le "livre du Roy Modus et de la Reyne Ratio". Aussi ne pensons-nous pas commettre une grave erreur en évoquant pour le porc la découpe de son cousin, le sanglier.

Les deux animaux, morphologiquement si proches qu'il est parfois difficile de les distinguer sur les enluminures, étaient le plus souvent destinés au salage ; la découpe consistait alors en la préparation de morceaux aisément manipulables, sans grand respect pour la myologie.

 

Roi Modus.Enluminure  : découpe du sanglier

 


Le bon chasseur se devait, tout d'abord, d'ôter la hure en la tordant après l'avoir incisée "d'un coutel à trois doys de l'oreille par derrière, et [coupée] tout entour par derrière les joes et [coupée] tout à travers, jusques à la jointe du col. "
Le veneur otait ensuite les "traces", les pieds, en coupant " parmi la jointe du genou " et l'articulation du jarret. Puis, il flambait le sanglier : il fendait et glissait deux "estribots", des bouts de bois, entre les membres opposés. Les aides glissaient ensuite sous les estribots, au "long du corps", une grande perche et portaient l'animal au-dessus du feu, pour griller les poils.
Le veneur découpait alors les jambonneaux : "enchise le cuir tout autour de ton coutel par endroit du coute [...] coupe la char […] puis tire le jambon à toi en teurdant et fier du dos d'une hache suz l'os [humérus].

Puis le veneur ôtait les jambons et les viscéres thoraciques en réalisant deux incisions, parallèles au long de l'encolure puis s'écartant dés l'entrée de la poitrine : les côtes étaient alors sectionnées et le chasseur enlevait le gril costal. L'éviscération continuait par " la bouelle [les boyaux] et la panse", puis la rate.
Comme pour le cerf, le veneur dégageait ensuite les nombles, en raclant la face interne des vertèbres lombaires "si que les os de l'eschine [demeuraient] tous descouvers par dedans".


Il ne restait plus qu'à lever l'échine en réalisant deux profondes incisions longitudinales, "séparées de la leeur [largeur] de trois doiez" et en sectionnant les tronçons de côtes à la hache. Gaston Phébus procédait de même : "Puis on doit tourner le sanglier sur le ventre et enlever l'échine en commençant par le col, à trois doigts de part et d'autre de l'échine, puis on doit couper les os tout au long de l'incision et séparer l'échine des côtes, qu'on appelle lés pour le sanglier et pour le cerf. Et quand l'échine est enlevée les deux lés restent séparés."

C'était la méthode utilisée pour le boeuf, comme en témoigne le Ménagier et les ordures fouillées par les historiens.

 

Tacuinum sanitatis. Etal de boucherie. La balance  n'a qu'un rôle décoratif, la viande est vendue à la pièce

 

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