La peste : accoucheuse de civilisations

 

Saint Augustin, chute et pillage de Rome

Chute de Rome

Dans la nuit du 31 Décembre 406, des bandes de Barbares avec femmes et enfants, profitèrent du gel des eaux du Rhin pour rentrer dans une Gaule qui agonisait, victime de l'oppression fiscale et des révoltes de paysans. En 410, Rome, la Ville éternelle, la Capitale de l'Empire d'Occident, tomba devant les Wisigoths.

En 442, une nouvelle catastrophe s'abattit : une épidémie de peste, apportée par un bateau revenant d'Egypte. Les chroniqueurs ecclésiastique décriront les morts brutales, la grande contagiosité, les prières sans effet, les populations affolées se réfugiant dans les débauches et les excès. Les mêmes mots que ceux de Thucidyde dans sa "Guerre du Péloponèse" en 430 avant notre ére.

La peste s'installera en Europe et connaîtra des périodes de flambées et de recul. Le Pape Pélage en mourra en 590, laissant le trône de saint Pierre à Saint Grégoire le Grand. Quoi que saint et très courageux face à la maladie, Grégoire sera plus efficace pour réformer l'Eglise que pour éradiquer la mort Noire.

La nouvelle saignée affaiblira la Gaule et plus encore la partie méditerranéenne de l'Occident, ce qui facilitera d'autant l'arrivée des Barbares germaniques essayant d'échapper aux Huns et à Attila. Certains crurent que le monde allait disparaître et que Dieu, ou les dieux, abandonnaient les humains qui s'entretuaient.

Durant le mille ans qui suivirent, l'Occident se repeupla, bon an mal an, en dépit des guerres, des invasions et des troubles divers. La peste ne revint pas, au point que les hommes oublièrent ses ravages et appellèrent "peste" toute épidémie un peu plus grave que les autres. Des nouveaux royaumes se créerent sur les décombres de l'Empire. S'ils prétendirent souvent être les successeurs de Rome, leurs structures économiques, politiques... n'avaient plus rien à voir avec Rome.

 

 

La Grande Peste de 1347

Les Normands s'emparèrent de l'Angleterre sous la conduite du duc Guillaume le Conquérant en 1066. En 1154, Henri Plantagenet, dèjà possesseur de terres en Maine et en Anjou, successeur désigné du roi d'Angleterre Etienne de Blois, épousa Aliénor d'Aquitaine répudiée par le roi de France. Ainsi se constitua un royaume à cheval sur France et Angleterre. Les Capétiens profitèrent de la moindre erreur des Angevins pour rogner leur possessions sur le continent, tandis que ceux ci faisaient tout pour se soustraire à la suzeraineté française. En 1337, les capétiens directs s'étant éteints, une assemblée de notables désigna Philippe de Valois comme roi de france, au détriment d'Edouard III, d'Angleterre. Comme on ne voulait pas de ce jeune souverain étranger, on exhuma une coutume oubliée, la loi Salique qui interdisait aux femmes d'hériter et de transmettre les droits au trône... Ce sera le début de la guerre de Cent Ans.

Philippe de Valois sera écrasé à Crécy. En 1347, son successeur Jean le Bon, c'est à dire le Brave, perdit Calais au bénéfice de l'Anglais et la guerre sembla mal engagée. La même année, la peste fit son retour. Elle s'abattit sur une France trop peuplée, mais victime de disettes répétitives. Le climat de l'hémisphère Nord devenait plus froid et humide depuis le XIII ème siècle : au Groenland, les vikings disparurent, car ils ne surent pas s'adapter, contrairement aux nouveaux venus, les eskimos.

Une nouvelle fois, certains crurent que le monde allait disparaître et que Dieu abandonnait les humains. La saignée humaine fut effrayante, mais elle ne fit pas disparaitre la civilisation Occidentale. Le royaume Capétien survécut ; toutefois la féodalité, la société fondée sur les liens d'homme à homme entre suzerain et vassal ne survécut pas. C'est le monde moderne, tel que nous le connaissons actuellement qui se mit en place. Les paysans survivants purent acheter des terres riches et cesser de défricher des mauvais sols, les ouvriers purent obtenir de meilleurs salaires. Le système de redevance féodales laissa place au impôts, destinés à financer des armées de plus en plus professionnelles. Ces armées permettront de créér et de défendre des Etats nations qui, lorsqu'ils ne s'entredéchireront pas, partiront à la conquète du globe.

 

 

L'épidémie de peste noire fit son apparition en Asie centrale et accompagna les armées des Mongols qui mirent le siège à la ville de Caffa, comptoir de commerce génois sur les rives de la mer Noire. Décimées par la Peste, les Mongols se retirèrent, non sans avoir catapulté des cadavres à l'intérieur de la ville, ce qui serait l'une des premières tentatives connues de guerre bactériologique.

Retournant en Italie, les galères génoises apportèrent la maladie à Constantinople et à Messine. Précédées par une sinistre réputation, elles furent refoulées par Génes.

Le 1er novembre 1347, jour de la Toussaint, veille de la fête des Morts, elles se présentèrent à Marseille qui les accepta, par convoitise des marchandises transportées. Dans un climat hivernal humide, la peste éclata sous sa forme la plus dangereuse et contagieuse, la forme pulmonaire. L’épidémie se répandit alors rapidement selon les routes commerciales en touchant d’abord les autres ports de la Méditerranée et le sillon rhodanien. Dès que Bordeaux fut atteint, la diffusion de la peste s'accéléra et gagna les terres des Plantagenets : Angleterre, Normandie et Calais. Le reste de la France et une grande partie de l'Europe sera progressivement contaminée. La maladie s'arrètera, lorsque le climat froid et sec ne permettra pas l'évolution de la forme pulmonaire. Elle semblera disparaître pour réapparaîtra aussi brutalement, fauchant les jeunes enfants n'ayant pas acquis d'immunité. Enfin, en 1352, la peste disparaît de France. Mais elle reviendra frapper jusqu'en 1845.

Pour échapper à l'air empuanti, les riches fuyaient et s'isolaient dans leurs maisons de campagne, tels ces nobles italiens qui passent leur ennui en mangeant des confitures et en se racontant de belles histoires, selon le Décaméron de Boccace. Mais ils emportaient quelquefois la maladie dans leurs bagages. Les pauvres restaient sur place ou partaient le long des routes, au risque de se voir tuer par les villageois affolés et les bêtes féroces.

Dans les zones touchées, la mortalité était énorme : une rue de Marseille fut renommée "Rifle Rafle", car tous ses habitants périrent en deus semaines de 1347.

En Avignon, à la même époque, les cimetières furent rapidement pleins pleins et 11 000 tombes furent creusées en hâte. Il aurait mieux valu brûler les corps car le bacille survit longtemps dans le sol. Les montagnards appellés à prix d'or pour remplacer les fossoyeurs défunts moururent à leur tour, alors qu'ils auraient du survivre puis qu'ils étaient protéges par leur vie dans un air sain, selon les conceptions de médecins du temps. Ces médecins tombèrent également comme des mouches et les survivants préférèrent s'éclipser. Resté sur place, "pour éviter l'infamie mais avec continuelle peur", le médecin Guy de Chauliac avouera son impuissance au Pape Clément VI, en comparant la Peste Noire et les précédentes maladies épidémiques : "celles là n'occupèrent qu'une région, celle ci tout le monde, celles là étaient remédiables en quelqu'un, celle-ci en nul.[...] tous les malades mouraient, exceptés quelques-uns qui en réchappèrent sur la fin avec des bubons mûrs."

Le médecin fut lui même frappé par la peste et resta six semaines entre vie et mort. Mais il donna quelques bons conseils au Pape. Celui ci installa des maisons de soin sur une boucle isolée du Rhône. Il interdit tout rassemblement, et tout pélerinage. Enfin, il fit réaliser des autopsies pour comprendre la progression du mal dans le corps.

A Paris, le tableau est aussi apocalyptique, selon Jean de Venette : "les gens n'étaient malades que deux ou trois jours et mourraient rapidement, le corps presque sain. Celui qui aujourd'hui était en bonne santé, était mort demain et porté en terre..." Dûment sollicités par Jean le Bon, les crétins sorbonicoles attribueront le mal à une conjonction de planètes et ne trouveront rien de mieusx que de préconiser la fuite. Toutefois, ils rappelleront que la peste d'Athènes avait été vaincue en nettoyant les rues de ses ordures et en les aspergeant de vin, ce que Jean le Bon ordonnera de faire.

D'autres municipalités seront encore plus radicales, comme à Bordeaux ou le feu fut volontairement bouté à des quartiers dans lesquels la peste sévissait...

 

Delumeau, peste de 1347

 

La peste : maladie

Etiologie

La peste est une zoonose (maladie transmise par les animaux). L'agent responsable de la peste est un petit bacille, de 1 à 3 microns de long, non mobile, qui possède la particularité de résister au froid; il porte le nom de Pasteurella pestis ou bacille de Yersin.

La peste est une maladie des rongeurs sauvages vivant en terriers, chez qui elle existe à l'état endémique. Les rongeurs sauvages appartiennent presque toujours à des espèces peu sensibles et ne meurent pas de la maladie. Ils constituent donc un réservoir : la peste de 1347 naquit en Asie, dans les terriers de gerbilles du Turkestan et du Kurdistan (CEI et Iran actuel).

Les populations connaissent des fluctuations et peuvent entrer en contact avec les rats. Ces rongeurs domestiques et commensaux de l'Homme se contaminent lorsqu'ils sont piqués par des puces infectées auprès du réservoir sauvage. Le sol des terriers peut également être infecté et contamine les rats en maraude. Rattus rattus , le rat noir, est très sensible à l'infection et fut le principal vecteur en 1437. Rattus norvegicus, le surmulot, est moins sensible. C'est en 1726 qu'il est entré en Europe, des millons de spécimens ayant traversé la Volga! Il a progressivement chassé le rat noir de nos villes au point que certains hygiènistes lui attribuent le recul de la peste, du fait de la limitation des contacts entre puces du rat noir et hommes.

Les Yersinias se développent dans le sang des rats qui meurent rapidement. La contamination entre rats se fait ensuite par l'intermédiaire des puces infectées. Et lorsqu'un rat atteint de la peste meurt près d'un humain, ses puces affamées, porteuses de Yersinias, se précipitent sur l'homme pour ne pas mourir de faim.

La contagion interhumaine s'effectue par l'intermédiaire de la puce du rat ou de l'homme, par les éternuements, par contact avec des malades, des objets souillés ou des cadavres... De plus, les animaux domestiques, carnivores et ruminants peuvent être sensibles à la maladie et constituer un réservoir de sang contaminé pour les puces.

A partir d'un premier foyer de peste humaine, la contagion s'effectue au hasard des déplacements de personnes contaminées : fuite devant l'épidémie, voyage en bateau, marche des armées... La mauvaise hygiène favorise la contagion. Le germe survit longtemps dans les cadavres contaminés. Les puces et les rats pullulent dans les villes encombrées d'ordures, au point que les chroniqueurs n'évoqueront même pas leur présence...

 

rats noirs et gris

Symptômes :

La peste chez l'homme se manifeste, après une incubation de deux ou trois jours, par une fièvre élevée, oscillante, souvent accompagnée de délire et d'hallucinations, ainsi que de troubles digestifs intenses. Il existe trois formes de cette maladie.

La peste bubonique se caractérise, à partir du point de piqûre de la puce par une inflammation des ganglions périphériques, les bubons, doulouroureux et entourés d'une zone oedématiée rouge. Il arrive que le le bubon s'ouvre et le malade peut guérir. La plupart du temps la mort survient en quelques jours à cause d'une d'infection généralisée.

La peste septicémique s'accompagne d'hémorragies diffuses et de symptômes cérébraux importants : délire, torpeur, terreur.

La peste pulmonaire est une pneumonie causée par une inhalation massive de bacilles. Elle elle tue en quelques heures après de graves difficultés respiratoires.

 

Traitement :

Le traitement repose sur l'antibiothérapie à base de streptomycine, de chloramphénicol et des tétracyclines. Néanmoins, une souche multi-résistante aux antibiotiques a isolée par des chercheurs de l'Institut Pasteur en 1997.

 

Situation actuelle :

La peste humaine a disparu d'Europe depuis 1845, si l'on excepte quelques cas heureusement isolés, en 1918, dans un milieu pauvre et médicalement peu favorisé : celui des chiffonniers de la banlieue parisienne

Mais d'autres parties du monde sont encore touchées, car les foyers à rongeurs persistent : Proche Orient, Amérique du Nord (déserts de l'Ouest des Etats Unis), Amérique du Sud, Afrique et surtout Madagascar. Dans cette île, une moyenne de 200 cas humains sont recensés par l'Institut Pasteur, en zone rurale et dans les taudis de la capitale. Les puces semblent insensibles aux insecticides utilisés localement.

Le nombre de cas mondiaux observés ces dernières années est en constante évolution ; aussi la peste est-elle considérée par les autorités sanitaires internationales comme une maladie ré-émergente. Si les circonstances deviennent favorables aux rongeurs, dans une partie du monde médicalement sous développée, une nouvelle épidémie pourrait naître. Ceci sans parler des phantasmes de guerre bactériologique qui agitent ce nouveau millénaire.

 

 

 

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