La fortune des bouchers à la fin du Moyen Age(XIV - XVème siècles)

 

Lorsque Guillaume de Saint-Yon mourut, un procès opposa deux héritiers putatifs : sa veuve et ses beau fils Jehan Le Pontonnier et Louis Thibert. Un arrêt rendu en 1383 (7 mars) donnera l'inventaire de la fortune du boucher : "Il est dit qu'il étoit propriétaire de trois étaux: qu'il y faisoit vendre chaque semaine des viandes pour 200 livres parisis, sur quoi il bénéficioit de 20 ou 30 livres; il avoit une rente de 600 livres, quatre maisons de campagne près Paris, bien fournies de meubles et d'instrumens aratoires: de grandes coupes, des hanaps, des aiguières, des tasses d'argent de grand prix, des coupes de madre avec des pieds d'argent d'une valeur de 100 fr. et plus; sa femme avoit pour plus de 1000 fr. de joyaux, ceintures, bourses, épingliers; des robes longues et courtes bien fourrées, 3 manteaux fourrés de gris: de très-beau linge. Il possédoit en outre 300 cuirs de boeuf valant bien 24 s. la pièce, 800 mesures de graisse valant 3 s. et demi, et 800 moutons de 10 s.; 5 ou 600 florins d'argent comptant. On évaluoit ses biens meubles à 12000 florins. Son sceau étoit d'argent ; il avoit donné 2000 florins de dot à ses deux nièces, et avoit dépensé 3000 florins à rebâtir sa maison de Paris ".

où sont les couverts?

 

Si brillante que fut cette réussite, elle ne doit pas nous abuser : nombreux étaient les artisans ne possédant qu'un étal souvent grevé de rentes.

Pour apprécier plus justement la fortune - et par conséquent le poids politique - détenue par la Grande Boucherie, il est indispensable de se référer aux documents d'imposition.

Un registre de taille datant de 1297 a été étudié par Bronislaw Geremek, historien et ministre de Lech Walesa. Les contribuabls parisiens sont répartis dans deux listes séparées, celle des "gros" et celle des "menuz". Il y a une très forte disparité de taxation chez les gros, de 6 sous à 54 livres. Pour mémoire, cinq livres valent cent sous. Chez les petits, la fourchette ne va que de 2 à 5 sous.

La répartition des plus fortes taxations montre que les riches habitaient surtout la rive droite et la Cité. Il n'y a que 5 des 33 plus gros contributeurs dans la Cité, mais la moyenne de la taxe y est la plus élevée, à l'exception de Saint Landry, peuplé de passeurs de Seine et de Saint Denis de la Chartre, peuplée de petits artisans.

La rive gauche universitaire ne comprenait aucun gros contributeur. Les artisans ou les "menuz" étaient majoritaires.

Rive droite, la paroisse la plus cossue était Saint Germain l'Auxerrois, dont le taux de taxation dépassait la moyenne parisienne. Saint Jacques de la Boucherie était un peu moins riche, mais était l'une des plus peuplées. le plus pauvres contributeurs, entre Saint Jacques et la rue Saint Martin étaient des fileuses, des baigneurs, des cloutiers et des artisans du cuir, qui se fournissaient à l'Ecorcherie.

 

Saint Germain l'Auxerrois  1600

 

Trois rôles nous sont parvenus de la fin du Moyen-Age : ceux de 1421, 1423 et 1438. Fragmentaires dans l'espace et la hiérarchie sociale ces documents ne se recouvrent pas, néanmoins leur étude est enrichissante.

En 1421 deux tiers de la capitale seulement furent intéressés par l'impôt. Malencontreusement le quartier de Saint Jacques de la Boucherie était au nombre des oubliés. L'éventail fiscal était large : 1332 contribuables pour une population inférieure à 100000 habitants. Seules les couches les plus défavorisées furent exemptées.

En 1423 le régent anglais Bedford limita sa ponction aux 502 plus riches bourgeois habitant dans l'ensemble de la ville car une "très grosse taille " venait d'être levée.

En 1438 l'administration française leva un impôt exceptionnel qui frappa 578 personnes, pour soutenir les assiégés de Saint-Denis. Mais les Anglais abandonnèrent le siège et les sommes ne furent que partiellement recouvrées.

 

Ces assiettes différentes expliquent la disparition de certains petits métiers entre 1421 et 1423. Tous les artisans n'avaient pas quitté la capitale pour échapper aux contraintes de leurs confréries ou aux obligations du Guet, comme les teinturiers ou les fabricants de ceintures. Plus simplement même les plus riches d'entre eux n'atteignaient plus le seuil d'imposition.

L'on comprend ainsi l'absence quasi totale des salariés dans ces documents. Trois serviteurs d'hôtels princiers seulement, sont mentionnés ainsi que cinq valets bouchers en 1421. Quatre de ces valets dépendaient sans doute de la boucherie du Temple, le dernier d'un établissement de la Rive droite.

La profession dans son ensemble, était riche: en 1421 la boucherie occupait le dixième rang dans la hiérarchie fiscale ou le seizième si l'on tient compte des officiers du Parlement de la Cour et du Trésor, ce qui éclaire d'un jour singulier la quête des offices : source de considération mais surtout de profits juteux.

En 1423 le métier devenait le septième groupe professionnel et ce bon résultat peut s'expliquer par une assise géographique élargie tenant compte de la Grande Boucherie. Enfin, en 1438, les bouchers occupaient la quatrième place, mais à cette date les métiers de luxe -orfèvrerie, épicerie étaient en totale décadence, victimes de la raréfaction des espèces sonnantes et trébuchantes. Aussi, il nous semble licite d'attribuer le sixième ou septième rang à la boucherie.

Les disparités de fortune au sein de la boucherie étaient importantes. En 1421 le rapport entre la quote la plus basse d'imposition et la plus élevée était de 24. Naturellement, comme les levées d'impôt suivantes étaient assises sur une base plus étroite, le rapport tomba à 3. Ce chiffre était bien plus important pour d'autres groupes professionnels. En 1421 il s'élevait à 80 chez les notaires et les libraires, à 40 pour les taverniers ou les avocats. Inversement, ce rapport était fortement diminué pour les petits métiers où il était difficile de faire fortune : 2 pour les potiers d'étain, les voituriers et les bedeaux. Le rapport variait de l à 8 pour les divers métiers du cuir et la quote d'impôt était très faible. Faut-il voir dans cette médiocrité des bourreliers et des tanneurs un reflet de leur assujettissement au "lobby" des bouchers ?
Pour étayer cette hypothèse rappelons que les bouchers obtinrent le privilège de traiter eux-mêmes leurs cuirs si les mégissiers refusaient d'acheter au prix fixé par les vendeurs. Rappelons aussi que, selon M. Chaudieu, la viande n'était à tout prendre qu'un sous produit et que les véritables sources de richesse étaient les monopoles de vente des suifs, cuirs et toisons.

 

Tacuinum sanitatis

 

Il n'existait pas sous l'ancien régime d'égalité devant l'impôt : le plus souvent les nobles réussissaient à se soustraire aux taxations, puis qu'ils étaient censés mettre leur vie et leurs biens au service du Roi. Si le clergé n'était pas soumis à l'impôt, il était cependant taxé selon des modalités spéciales et se devait de mettre la main à l'escarcelle quand le roi se faisait pressant. L'Université, du maître à l'étudiant était exempte de plein droit. Aussi les libraires et les parcheminiers essayaient ils de se faire passer pour des suppôts de l'Université.

Archers et arbalétriers étaient de même épargnés par dispense gracieuse. Un riche huilier sût tirer parti de ses capacités d'archet pour ne pas acquitter ses dettes et l'exemple fut de plus en plus suivi jusqu'au règne de Louis XI.

Enfin, à titre privé, de nombreux contribuables bénéficiaient de remises partielles ou totales de leurs impôts, quelquefois pour d'excellentes raisons : "pour ce qu'il est povre homs", "pour ce qu'on ne scet qu'il est devenu" ou "pour ce qu'il est mort et n'a riens "

Dans la majorité des cas répertoriés la remise est une faveur royale : la réduction est d'autant plus fréquente et le pourcentage d'autant plus important que la cote originelle d'imposition est élevée. Le contribuable est imposé moins selon ses ressources que selon ses appuis et relations auprès de la Cour. "Katherine vefve du Gois " mort au service de Jean Sans Peur en 1411, assise à quatre onces ce qui est le chiffre le plus important de la boucherie, se vit remettre la totalité de ses impôts. La même année 1421 Colette soeur du défunt fut aussi bien traitée.

En 1483 Jean Haussecul -23ème quote- ne paya rien.

Mais l'étude approfondie des trois recensements démontre que les bouchers dans leur ensemble n'étaient pas parmi les métiers privilégiés. Seuls quelques grands- bouchers - Gois, Hausse-cul, Saint-Yon - bénéficiaient de la bienveillance royale, à charge pour ceux-ci de bien "tenir en main" leurs collègues par l'intermédiaire des organisations professionnelles puis, après 1467, dans le cadre de la nouvelle Milice.

 

Du vin, des cailles et un bon feu

 

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