Au Moyen Age, il n'y avait pas d'impôts direct sur le revenu du travail ou la fortune des individus. Il existait un certain nombre de redevances dues aux seigneurs. Mais ces redevances étaient adaptées à l'économie féodale, autarcique et fonctionnant sur les perceptions en nature ou en jours de travail.
Les échanges devenant de plus en plus actifs, les redevances en monnaie se mulitiplièrent et des impôts indirects apparurent, surtout pour mener la guerre contre l'Anglois et payer les mercenaires.... Les impôts indirects étaient tout particulièrement détestés du peuple. Ils furent à 1'origine d'émeutes, en particulier du mouvement des " Maillets" dont les participants réclamaient le retour aux bonnes anciennes coutumes, celles du règne de Saint-Louis.
Sous le règne de ce souverain, Etienne Boileau, prévôt de
Paris, enregistra dans son "Etablissement des Métiers de Paris"
les usages des communautés, à l'exception de ceux de la boucherie,
puis établit la liste des droits frappant le commerce à Paris.
Ville, banlieue et "bornes" de Paris
Le hauban était un privilège concédé par le
Roi qui simplifiait l'exercice d'un métier, puisqu'en échange
du règlement d'un forfait annuel 1'artisan était exempt de diverses
taxes.
Primitivement perçu en nature, un muid (environ 268 l de vin)à
une époque où les espèces faisaient défaut, le hauban
fut ensuite perçu en monnaie et fixé par Philippe Auguste à
six sous "et puis mist li bons roy Philippes cel mui de vin a VI s. de
parisis, pour le contens [contentieux] qui estoit entre les pauvres haubaniers
et les échansons le Roy qui le mui de vin rachevoient de par le Roi ".
C'étaient deux droits perçus sur les échanges commerciaux
de marchandises sur les marchés et en halles. "Autant devait de
tonlieu le vendeur comme l'acheteeur si ne l'achete pour son user". "Prestres,
clers, hons de religion, chevaliers, gentiuz hons" étaient exemptés.
Il en allait de même pour les bouchers, ainsi que pour tout Parisien "demouranz
dedans les murs de Paris" pour son usage personnel.
La frontière était difficile à établir entre le
fraudeur patenté et le bourgeois, prévoyant et obligeant, qui
revendait une partie de ses réserves à ses voisins et amis : en
1429 un procureur acheta, fit tuer et saler 80 pourceaux sans emprunter l'habituel
circuit commercial. De même les privilèges des clercs et des écoliers
donnaient lieu des abus, surtout en matière de vin.
A l'époque d'Etienne Boileau le montant du tonlieu était sensiblement
identique à celui du péage du Petit Pont : une obole pour les
chèvres, les animaux de plus d'un an ou les porcelets sevrés,
les vaches et les taureaux. Les bufs, en raison de leur forte valeur,
étaient taxés deux oboles
(un denier). Chevaux et juments étaient au nombre des espèces
pour lesquelles les bouchers réglaient le tonlieu et le halage, ce qui
confirme que ces animaux n'étaient pas d'un usage alimentaire fréquent.
Sauf grave famine : en 1420 dans Meulan assiégé, les hommes d'armes
en furent réduits à manger leurs chevaux.
En revanche les bouchers ne versaient pas de tonlieu et de halage pour la vente
des graisses, des peaux et des chairs de leurs animaux. "Autant [devait]
de tonlieu cil qui vent comme cil qui achate s'il n'[était] bouchier
de Paris qui riens ne devait ne du vendre ne de l'aahater car ses aubanz l'
[affranchissaient] ".
Resté jusqu'en 1378 le seul pont reliant l'île de la Cité à la rive gauche, le Petit pont était verrouillé à son extrémité sud par le petit Châtelet : c'était l'endroit tout indiqué pour établir un octroi. " Paagiers est à Petit Pont pour sa que il doit demander son paage as marchans" : toute marchandise destinée à être vendue dans la capitale était frappée d'une taxe dont Boileau dressa l'inventaire des différents tarifs. Inventaire digne de Prévert où le raton laveur, absent est remplacé par le putois.
Le cuir de Cordouan était taxé à raison de 4 deniers par
paquet si grand fut-il : les astucieux liaient tout le contenu de leur charrette
à l'aide d'une unique longue corde. Le page s'élevait à
quatre deniers pour un singe, mais il n'était pas perçu si l'animal
était la propriété d'un jongleur, ce qui était démontré
par l'exécution de quelques singeries :" se li singes est au joueur,
jouer en doit devant le péagier et pour son jeu doit estre quites de
toute la chose quil achète à son usage. Et aussitôt
li jongleur sunt quite por un ver de chançon ". C'est ce que l'on
appelle encore la "monnaie de singe ..."
Seuls les caprins traversaient librement le Petit Pont, mais le bouc était
gratifié, au passage, d'un coup de bâton entre les deux cornes,
peut-être en raison du caractère diabolique que lui prêtait
la superstition populaire.
Les jeunes animaux de moins d'un an d'âge n'étaient pas taxés,
à l'exception des porcelets dès lors qu'ils étaient sevrées.
Le passage des chevaux et des juments donnait lieu à la perception d'un
denier par tête; celui des porcs, vaches et taureaux à une obole
soit un demi denier, moutons et brebis étaient taxés une "poitevine",
une petite monnaie. Pour les bufs une distinction était
faite entre le bestiau déjà vendu à un boucher, et celui
qui ne l'était pas : "li bues doit I d. s'il est vendus et s'il
n'est vendus il ne doit noient". Cette différence s'explique par
la perception d'un tonlieu lors de la vente sur les marchés parisiens.
Les Maîtres de la Porte devaient par conséquent acquitter un denier
par buf, tandis que les courtiers en étaient dispensés sans
doute pour les inciter à amener leurs animaux à Paris.
Suifs, bacons, poissons...étaient taxés. Seule exemption, les viandes des repas confraternels ou destinées aux pauvres : " chars de confrerie ne d'asmone ne doivent noiant".
Les animaux ne voyageaient pas par l'eau. Le péage au débarquement en place de Grève n'était pas prévu.
Dès 1182 les bouchers n'étaient plus taxés en banlieue
: " les bouchiers de la Grant Boucherie de Paris peuvent prendre et achater
bestes vives et mortes et quelconques autres choses appartenans à boucherie,
franchement sanz paier coustume ne paage, dedans la banlieue de Paris, de quelconques
lieu que denrées viengnent et en quelconque lieu que elles soient menées
se aucun lieu les veulent mener; et semblablement peuvent vendre et achater
tout poisson de mer et d'eau douce." (statuts de 1381).
Les seigneurs de province, sur qui le pouvoir central prêt à tout
pour assurer le ravitaillement de Paris pesait moins lourdement, surent protéger
leurs péages.
L'acheminement des troupeaux se faisant uniquement par voie de terre; il n'était pas perçu de "rivage" pour le débarquement en place de Grève. Ce rivage s'appliquait sous le règne de Saint-Louis aux produits d'origine animale : "fliches" de bacon sans os, lards, saindoux ... Les bouchers de l'Apport n'étaient pas exemptés de la taxe. Cependant, ce rivage leur était favorable car il grevait les importations : " chascun bascon entiers [devait] obole de rivage", soit autant que la bête sur pied au Petit Pont. Bascon, du francique "bakko" jambon désigne ici un demi porc démembré. Une "Fliche" (flèche) est un "bascon" dont les os de la poitrine ont été retirés.
Au terme de cette courte étude sur les impôts indirects sommes-nous
en mesure d'apprécier l'importance de la ponction fiscale ? Il
semble que les marchandises de première nécessité n'étaient
pas trop onéreuses ou fortement taxées sous le règne de
Saint-Louis.
Un article du livre des métiers indiquait que " pourcel, vel ou truit [ ] se chascun de ces III ne vaut que III deniers au plus, ils ne doivent point de tonlieu ". Douze deniers soit vingt quatre oboles semblent dont la plus faible valeur marchande prise en considération par les agents fiscaux. Le montant du tonlieu s'élevant à une obole, le taux d'imposition était de I'ordre de 4,4 % du prix de vente. Un taux que les argousins actuels de Bercy devraient prendre en considération. Ce chiffre était un maximum car les bovins avaient une bien plus grande valeur marchande ...
Plus tard, tandis que les impôts directs devenaient permanents pour financer l'effort de guerre, de nouvelles "maltotes" vinrent grever le commerce. Douze deniers par livre sur le bétail à pied fourchu étaient perçus au XVème siècle. Soit, douze deniers représentant un sou, et vingt sous une livre, une taxe de 5% sur les transactions.
Rien de très important, par conséquent, mais les petites gens se sentaient gravement lésées, considérant qu'une partie des sommes perçues servait à faire vivre les parasites de la Cour. Parasites bien incapables de bouter l'Anglois hors de la douce France.
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