La police parisienne au Moyen-age

 

Au sens premier, la police est le gouvernement de la ville, "polis" en grec. De nos jours, le mot est désormais restreint aux forces destinées à garantir l'orde. Au Moyen Age, l'acceptation du terme était plus large : il n'y avait pas en particulier de véritable séparation entre les fonctions de magistrature et de simple police. De plus, les divers seigneurs titulaires de fiefs avaient usurpé les fonctions de police et de justice lors de la décadence du pouvoir Carolingien. Il n'y avait pas de centralisation des forces de police en une seule main.

La situation était toutefois plus simple à Paris, dans la mesure où le principal seigneur usurpa le trône de France. Les Capétiens firent administrer la justice par un vicomte, jusqu'en 1032, date à laquelle Hugues Ier, craignant une hérédité du titre vicomtal préfèra nommer un Prévôt révocable sur simple décision royale.

Exerçant les prérogatives royales en matière financières, d'hygiène, de sécurité, de haute et basse justice, le Prévôt était gèné par des contrepouvoirs plus ou moins puissants. L'Eglise tout d'abord, qui entendait défendre ses prérogatives : les autorités ecclésiastiques de la Rive Gauche mettaient leur point d'honneur à récupérer les étudiants et les clercs emprisonnés par le pouvoir royal.

Ensuite quelques seigneurs. Le Châtelet restreignit considérablement le nombre et l'importance des justices seigneuriales mais vingt cinq subsistaient encore au XVIIème siècle. Enfin la bourgeoisie : les Capétiens, si prompts à donner des privilèges aux villes de province pour abaisser les féodaux avaient été bien moins généreux pour la bourgeoisie de la capitale. Néanmoins les "marchands de l'eau" obtinrent quelques avantages, dont une juridiction commerciale, le Parloir aux bourgeois.

La charge de Prévôt avait été mise en fermage, c'est à dire que n'importe quel particulier, doté toutefois d'une fortune conséquente, pouvait acheter le titre et exercer la fonction... Naturellement, les aspects financiers liés à la Prévôté expliquaient son attractivité... Des riches bourgeois parisiens s'étaient interessés au poste au point que Saint Louis craignit qu'une véritable municipalité se mit en place. Il préféra perdre les rentrées d'argent et décida de nommer de nouveau un fonctionnaire comme Prévôt royal, en l'occurence le fameux Etienne Boileau, tout en attribuant les pouvoirs fiscaux à un trésorier. Les bourgeois furent autorisés toutefois à se doter d'un Prévôt des Marchands, dont la compétence était théoriquement limitée aux affaires commerciales. Théoriquement : il suffit de rappeler le rôle politique du Prévôt des Marchands Etienne Marcel qui devint le maître de Paris durant la régence de Charles V.

Avec le temps, de nouveaux offices furent crées. Tout d'abord celui de Chevalier du guet : Saint Louis plaça cet officier sous la dépendance du Prévôt et lui donna le contrôle des deux guets de Paris.

 

Ensuite les lieutenants du Châtelet. Placés eux aussi sous la tutelle du Prévôt, les lieutenants civil et criminel finirent par exercer les compétences de Police du Prévôt, au point que la fonction prévôtale disparut. Les deux lieutenants ne cessèrent de se contester leurs compétences réciproques, au détriment de la sécurité des Parisens, jusqu'à la réunion sous le titre de "Lieutenant Général de Police" en 1667, par Louis XIV. Il faut préciser qu'en 1665 le dernier Lieutenant Criminel fut tout bonnement égorgé par des cambrioleurs dans son domicile du Quai des Orfèvres...

Autres "grignoteurs" des pouvoirs du Prévôt : les commissaires enquèteurs ou examinateurs du Grand Châtelet. Apparus vers 1306 sous le règne de Philippe le Bel, ces officiers de Police étaient à la fois commissaires, au sens actuel du terme, et juges d'instruction.

Hôtel du Prévôt, vers 1820. Fortement remanié

 

La plus grande ville d' Europe (peut-être 200.000 habitants au XIVème siècle) avait deux organisations différentes, diurnes et nocturnes, pour le maintien de l'ordre.

 

Le jour :

les forces de police comprenaient les sergents seigneuriaux , les sergents royaux et la milice.

Forces seigneuriales :

Il existait plusieurs dizaines de justices seigneuriales , en majorité ecclésiastiques (For aux Dames, For l'Evêque). Ceci compliquait d'autant le travail des sergents royaux car, en traversant une rue, les malfaiteurs pouvaient changer de juridiction. De plus, les malfaiteurs prétendaient souvent être clercs, même s'il était facile de démontrer leur analphabétisme sous la torture. Ils espéraient ainsi tomber dans les griffes un peu plus clémentes des juridictions ecclésiastiques .

Au Châtelet, tous les prisonniers étaient torturés afin qu'ils avouent leurs crimes et dénoncent leurs complices. La peine de mort était la sanction la plus courante. Les registres de 1389 à 1392 du Châtelet, analysés par Bronislaw Geremek, font état de 13% de suspects de vols qui sauvent leur tête, mais pas nécessairement leurs oreilles. il semble que le vol, qui témoigne une nature vicieuse et nécessitedes complicités, était plus durement réprimé que les violences parfois meurtrières, dues le plus souvent à l'alcool. Au total 79 % des suspects de vol étaient exécutés. Par la corde, la hache, le feu, ou l'enterrement. Cette dernière mesure était surtout appliqué aux femmes, par une faveur spéciale, car il aurait été indécent de les voir gigoter sur le gibet...

 

 

Les forces royales

mises à la disposition du Prévôt, au Grand Châtelet, étaient limitées en 1405 à 22 cavaliers -composant la police extra muros- et 220 sergents à pied parfois appellés sergents à verge, car ils portaient un bâton fleurdelisé.

Le nombre réel était certainement plus élevé -trois à quatre fois- sans que la sécurité s'en trouvât renforcée : les sergents à pied, dont les charges s'achetaient, passaient pour des gens de sac et de corde, coutumiers des abus de pouvoir ou des arrangements illégaux. Villon ne s'y est pas trompé :

 

" Item, aux Unze Vingts sergens
Donne - car leur fait est honneste
Et sont bonnes et doulces gens
Denis Richier et Jehan Valecte -
A chascun une grant cornecte
Pour pendre a leurs chappeaux de feultres,
J'entens a ceulx a pié, hohecte !
Car je n'ay que faire des autres. "

Le grand testament, François Villon

 


Prévot des bourgeois. Au premier plan : sergents
Parmi les sergents cités dans les oeuvres de Villon, certains avaient plusieurs métiers. Michaut du Four était aubergiste et boucher, Jean de Loup pêcheur, flotteur de bois et vidangeur. Casin Cholet était tonnelier ; il fut rayé des cadres, condamné au fouet et emprisonné...

Quant au fameux Etienne Garnier, voulant devenir sergent à cheval il n'hésita pas à détourner le butin d'un voleur appréhendé. Gracié, il devint gardien au Châtelet et tourmentera Villon qui le brocardera dans sa ballade de l'appel.

 

 

La milice :

regroupant les habitants d'un quartier sous le commandement de dizainiers, cinquanteniers et quarteniers, était chargée de faire respecter les décisions du Parloir des Bourgeois. Comme les milices des Communes flamandes -Paris n'a jamais eu, rappelons le, de municipalité- cette organisation prit part à des soulèvements (en 1413, ou durant les troubles de la Ligue sous Henri III) et par conséquent était étroitement surveillée par le pouvoir central.

 

 

 

 

La nuit :

les portes de la ville étaient closes et des chaînes barraient les rues ; ces chaînes facilitaient la construction de barricades et furent souvent confisquées. La sécurité était assurée par le guet Royal et le Guet des Bourgeois.

 

Item, au Chevalier du guet,
Le Hëaulme luy establis,
Et aux pietons qui vont d'aguet
Tastonnant par ces establis,
Je leur laissë ung beau riblis,
La Lanterne a la Pierre au Let,
Voire, mes j'aray les Troys Lis,
S'ilz me mainent en Chastellet.

Le lais, François Villon


Le Guet Royal

dont la première mention remonte à Saint Louis, comprenait 20 cavaliers et une quarantaine de sergents à pied à l'époque de ce Roi. Il était chargé de capturer les mendiants ou locataires indélicats surpris dans les rues après le couvre-feu. Toutefois, prévenus de l'arrivé des patrouilles par le bruit de ferraille des armures les suspects s' esquivaient facilement ; et plus facilement encore lorsque le Chevalier du Guet se faisait précéder de musiciens, comme ce fut dénoncé par le bourgeois de Paris. Ce guet était placé sous le commandement du Chevalier logé à proximité du Châtelet.

 

Le Guet des Métiers

En 1254, "pour la sûreté de leur corps, de leurs biens et marchandises", les bourgeois de Paris obtinrent l'autorisation d'établir un guet auxiliaire.

Chaque nuit une corporation désignait soixante des siens qui se rendaient au Châtelet. Les bourgeois étaient alors répartis par le Chevalier du Guet en différents points de la capitale -la Grève, le Châtelet, la Sainte-Chapelle…- et y passaient toute la nuit sans quitter leur poste, d'où le nom de guet "assis". Grand Châtelet en 1800

Les fous, les malades qui avaient été saignés, les maris des femmes en couches étaient exempts de service ainsi que les écorcheurs et les membres de certains métiers de luxe.

Cette obligation due jusqu'à l'âge de 60 ans et qui revenait toutes les trois semaines devint insupportable ; les défections se multiplièrent : des commis venaient remplir les devoirs de leurs patrons moyennant rétribution. Aussi des règles draconiennes furent édictées : tout bourgeois qui ne pouvait se rendre au guet devait faire prévenir le Chevalier du Guet, le soir même, en envoyant une femme de sa famille, sinon une amende ou une saisie de biens venait frapper le contrevenant.
Comme aucune femme de bien ne pouvait impunément se risquer dans les rues la nuit, la mesure était efficace ...

 

En réalité, les pouvoirs publics attendaient beaucoup de la solidarité de quartier. Les voisins qui souvent appartenaient au même corps de métier se portaient mutuellement assistance et protection " car c'est li communs pourfis que chascun soit serjent et ait pouvoir de prendre et d'arester les maufreteurs' " (Beaumanoir, Coutumes du Beauvaisis).

Mais les vieux réflexes d' auto-défense s'émoussèrent puisque les rois furent contraints de les rappeler par la voie législative. Ainsi, François 1er constatant la carence de ses sergents devant les voleurs ordonnait aux témoins de "détrousser tuer saccager tailler et mettre en pièce lesdits aventuriers" tout en interdisant aux justiciers de s'armer sans autorisation royale !

 


Seule la création en 1667, au bénéfice du très efficace La Reynie, d'un "Lieutenant Général de Police" allait permettre de rétablir la sécurité dans Paris, pour un temps.

 

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