Cimetière des Innocents en 1785

Les Innocents en 1785.

 

Halles, boucherie de Beauvais et  cimetière des Innocents

 

Noter la proximité fâcheuse de la Boucherie de Beauvais et du cimetière des Innocents. Cimetière dans lequel, jusqu'à la clôture sur ordre de Philippe Auguste, les cochons pouvaient fouiller les tombes...

« Ce charnier des Innocents servait au XVè siècle de promenade populaire dans une des parties les plus fréquentées de Paris, à côté de l'église des Innocents démolie en 1786, laquelle s'élevait au coin de la rue Saint-Denis et de l'ancienne rue aux Fers, vers l'angle nord-ouest du square des Innocents ». J. Huizinga L'automne du Moyen Age.

Des écrivains publics proposaient leurs services. Des commerçants, libraires, marchands, marchandes de mode, s'installaient entre les tombes pour vendre des marchandises de deuxième choix. Des dames venaient proposer leurs charmes plus ou moins attirants.

 

"Après une franche repue,
J’eusse aimé, toute honte bue,
Aller courir le cotillon
Sur les pas de François Villon,

Troussant la gueuse et la forçant
Au cimetière des Innocents,
Mes amours de ce siècle-ci
N'en aient aucune jalousie..."

Georges Brassens

 


On y trouvait également un pilori, où la foule pouvait conspuer les condamnés.

Enfin, c'était un lieu apprécié des prédicateurs : selon le Bourgeois de Paris, le frère franciscain Richard prêcha 10 jours consécutifs, dos tourné à la fresque de la Danse Macabre. Nul doute que son discours sut tirer parti du caractère des lieux.

Les cochons venaient fouiller le sol pour se nourrir dans les tombes creusées à faible profondeur, du moins jusqu'au règne de Philippe Auguste qui fit enclore le cimetière. La terre était réputée pour faire fondre les chairs en moins de neuf jours! Périodiquement, les squelettes étaient déterrés et empilés sous les toits des galeries. Le cimetière fut détruit en 1786 sur ordonnance du Parlement qui fit valoir d'indubitables raisons hygiénique : en 1780, un restaurateur de la rue de la Lingerie eut la surprise de découvrir que sa cave s'était remplie en une nuit de cadavres à divers stades de putréfaction : le mur mitoyen venait de céder sous la pression de la fosse. Le sol fut alors tamisé et les ossements correspondant à plus d'un million de corps furent transférés dans les carrières de la rive gauche, les catacombes.

 

le charnier et la Danse Macabre

Charnier et Danse Macabre.

 

 

le grand squelette. Actuellement au Louvre

« L'an 1424 fut faite la danse macabre aux Innocents, et fut commencée environ le moys d'Août et achevée au Carême ensuivant ». Journal d'un bourgeois de Paris.

Les français de la fin du Moyen Age ont connu la Peste, les famines, les guerres civiles et les ravages de l'étranger. Leur vision du monde en fut fortement modifiée : cela se traduisit par l'apparition de nouvelles représentations de la mort. Les gisants ne sont plus des corps parfaits attendant la résurrection mais des charognes purulentes, rongées par les vers, dont le ventre a éclaté. Témoin, le grand squelette des Innocents. Restaurée des deux bras vers 1789, la statue est actuellement au Louvre. On peut lire sur son écu les vers suivants :

 

"Il n'est vivant tant soit plein d'art

Ne de force pour résistance

Que je ne frappe de mon dard

Pour bailler aux vers leur pitance

Priez Dieu pour les trépassés"

 

Pour autant, cette complaisance pour les images de mort est plutôt représentative de la vitalité des hommes : si la vie est aussi brève et qu'elle peut s'achever sans préavis, elle doit être vécue passionnément...

 

"La guerre avons, mortalité, famine,
Le froit, le chault, le jour, la nuit nous myne;
Quoy que façons, tougjours nostre temps court;
pulce, cyrons et tant d'autres vermine
Nous guerroyent. Bref misère domine
Nos meschans' corps, dont le vivre est très court...

...Si tu vas à Saint-Innocent
Où il ya d'ossements grand tas,
Ici ne congnoistras entre cents
Les os des gens de grand estas
Ceux qui sont vifs, Pape, Empereur et Roys,
Viendront aussi à ce piteux arroy"

Meschinot (né en 1420)

 

Comme en réponse aux vers de Meschinot, dans la Danse Macabre peinte aux Innocents, les morts saisissent les vivants. Et ils n'épargnent personne, puissants ou misérables. Ils rappellent aux vivants : " Telz comme vous un temps nous fumes, Tel serés vous comme nous sommes"...

 

On ne connait pas de réel précurseur à cette fresque, détruite en 1786, même si les poètes et les peintres ont souvent évoqué la mort, au long du Moyen Age. En témoigne par exemple le dit des "Trois morts et des trois vifs", dont on trouve des manuscrits dès le XIIIème siècle et qui donnera lieu à des fresques dans diverses églises de France.

 

dit des trois morts et des trois vifs, Bois gravé XV ème siècle?

 

Mais la fresque des Innocents est tellement en accord avec la mentalité du siècle que le prototype parisien diffusera dans tous les pays européens par des copies ou des gravures sur bois ...

On ignore l'origine du mot Macabre. Le mot semble apparaître sous la plume de Jean Le Fèvre, mort en 1387, dans le "Respit de la mort" :

"Je fitz de macabre la danse

Qui toutes gens mène à la tresse

Et à la fosse les adresse ... "

Vient il de Judas Macchabée (le Marteau), un guerrier juif? Des livre bibliques des Macchabées dans lesquels on évoque la prière pour les morts ou la résurrection et qui seront pour cela utilisé dans le cérémonial chrétien? Du mot arabe "maqâbir" signifiant cimetière?