Dictionnaire de Dumas : article cochon
Tout n'est pas historique dans cet ouvrage. Mais on peut violer l'histoire si les enfants sont beaux. Et quelle érudition, quel humour, quelle imagination, quel appétit...
" C'est le roi des animaux immondes, dit Grimod de la Reynière,
dans l'éloge qu'il fait de cet animal ; c'est celui dont 1'empire est
le plus universel et les qualités les moins contestées. Sans lui,
point de lard, et par conséquent, point de cuisine ; sans lui, point
de jambon, point de saucisson, point d'andouilles, point de boudins noirs, et
par conséquent, point de charcutiers.
" Gras médecins, continue Grimod de la Reynière, en s'élevant
jusqu'au style lyrique, vous condamnez le cochon et il est sous le rapport des
indigestions 1'un des plus beaux fleurons de votre couronne. "
Puis retombant au style familier : " La cochonnaille, continue-t-il, est
beaucoup meilleure à Troyes et à Lyon que partout ailleurs. Les
cuisses et les épaules de cochon ont fait la fortune de deux villes :
Mayence et Bayonne. Tout est bon en lui ; par quel oubli coupable a-t-on pu
faire de son nom une injure grossière? "
Et par quel ingrat oubli M. Grimod de la Reynière ne se souvient-il pas
lui-même que c'est à la finesse de 1'odorat du cochon que nous
devons les truffes ; et de quelle façon le cochon est-il récompensépour
chaque truffe qu'il trouve, et qu'il permet à l'homme de mettre dans
son panier? Et comment n'admire-t-on pas la persistance de 1'intrépide
chercheur et sa patience gastronomique qui a sur lui cette bienheureuse influence
de toujours le tromper, non pas dans sa recherche, mais dans son résultat
; il persiste toujours à chercher pour être battu et voit la truffe
lui passer devant le groin.
Au reste, au mot truffe nous nous étendrons plus longuement sur ce produit
que les savants ont place entre le règne minaret et le règne végétal,
ne sachant auquel des deux 1'appliquer.
Le cochon était la principale nourriture des Gaulois, aussi en avaient-ils
des troupeaux considérables. Les Romains les faisaient cuire entiers
et de différentes manières ; une de ces manières consistait
à les faire bouillir d'un côté et rôtir de 1'autre.
La seconde s'appelait à la Troyenne, par allusion au cheval de Troie
dont 1'intérieur était rempli de combattants. Celui du cochon
se farcissait de bec-figues, d'huîtres, de grives, le tout arrosé
de bons vins et de jus exquis ; ces mets devinrent si chers que le sénat
fit une loi somptuaire pour les défendre.
Athénée parle d'un marcassin à demi bouilli, à demi rôti préparé par un cuisinier qui avait eu 1'art de le vider et de le farcir sans I'éventrer ; il avait fait un petit trou sous une épaule ; 1'animal lavé en dedans par du vin avait été ensuite farci par la gueule. Les Égyptiens regardaient le cochon comme un animal immonde, si quelqu'un par mégarde avait touché à un cochon, il devait de suite pour se purifier entrer dans le Nil avec ses habits. Un seul jour et dans une seule circonstance, il était permis de manger du cochon, c'était au moment de la pleine lune : 1'animal était alors immolé à Bacchus et à Phbé. Tout le monde sait que les Israélites regardent la chair du cochon comme une chair immonde ; mais tout le monde sait aussi que cette prescription est plus hygiénique que religieuse ; le pays où les cochons acquièrent le plus haut degré de délicatesse, sans doute par les fréquentes occasions qu'ils ont, si l'on en croit, à tort d'ailleurs, les pères jésuites, de manger de la chair humaine est la Chine ; aussi les Chinois font-ils du cochon la base de tous les festins et leurs jambons ont-ils une qualité supérieure à ceux de tous les pays.
En 1131 mourut le jeune roi Philippe, que Louis le Gros, son père,
avait associé au royaume et fait couronner à Reims. En passant
dans une rue étroite un cochon s'embarrassa dans les jambes de son cheval,
son cheval s'abattit et le jeune prince se heurta si vivement la tête
qu'il en mourût le lendemain ; il fut alors défendu de laisser
vaguer les pourceaux dans les rues ; la crainte de déplaire à
saint Antoine fit que l'on excepta de cette défense ceux de l'abbaye
du digne saint, mais à la condition qu'ils auraient une clochette au
cou.
En 1386, par sentence du juge de Falaise, une truie fut condamnée a être
mutilée et pendue, pour avoir tué un enfant.
En 1391, dans la paroisse de Roumaigne, vicomté de Morraigne, un porc
fut condamné pour le même crime.
Humbert, Dauphin du Viennois, partant pour la croisade, en 1345 (nous laissons
aux savants à dire quelle fut cette croisade), Humbert Dauphin du Viennois
fit un règlement par lequel il fixa la maison de la Dauphine, son épouse,
à trente personnes ; or, pour ces trente personnes il accorda un cochon
par semaine et trente cochons salés par an ; ce qui faisait trois cochons
par personne.
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